Bowling for Columbine 

- Réalisateur : Michael Moore
- Sortie : ?
- Distribution : Michael Moore et des vrais Ricains...
- Pitch : Pour la première fois depuis près d'un demi-siècle, un documentaire a été sélectionné en compétition officielle lors du dernier festival de Cannes. Son auteur, Michael Moore, y orchestre un réquisitoire efficace contre l'industrie américaine de l'armement, sans manquer d'émettre de judicieuses critiques à l'encontre de ce fameux droit constitutionnel qui autorise tout citoyen américain à posséder une arme, en vertu du deuxième amendement. A rebours de l'image d'une Amérique prétendûment démocratique, civilisée et moderne, Michael Moore tire le portrait d'une nation définitivement marquée au coin de la violence. Legs de la barbarie sanglante de ses origines historiques ? hasarde-t-on timidement. Chaque année en effet, près de 12000 personnes sont tuées par balles sur le sol américain. Fort de cet alarmant record dont les USA se passeraient volontiers, le réalisateur interroge : pourquoi les Etats-Unis sont-ils le pays industrialisé dont les habitants s'entretuent avec le plus d'entrain ? Bowling for Columbine raconte l'enquête conduite par un empêcheur-de-penser-unique sur le pourquoi de cette singularité américaine.
- Blabla : Le film commence au guichet d'une banque, alors que Michael Moore demande l'ouverture du compte qui "donne droit en cadeau de bienvenue à un fusil" à choisir dans un catalogue digne de celui d'une armurerie. Aucun contrôle évidemment sur l'identité du demandeur, sinon un formulaire à remplir ; au nombre des questions auxquelles le souscripteur doit répondre, celle-ci : "avez-vous déjà été condamné pour des délits et infractions mis au compte d'une déficience mentale ?" Remarque de Michael Moore, goguenard : "si je suis complètement cinglé mais que je n'ai pas été condamné, ça va alors ?" Acquiescement de l'employée qui lui remettra placidement quelques instants après son fusil de compét'. Le ton du film est donné dans cette séquence liminaire, plutôt un des tons que multiplie le film et qui lui donnent une bigarrure énergique d'autant plus corrosive.
Ainsi alternent les récits de tragédies locales comme la tuerie de Columbine High School, Littleton, Colorado (deux élèves massacrèrent douze de leurs camarades et un professeur avant de se suicider avec des armes à feu acquises en toute légalité)et le drame de Flint, Michigan, ville natale du réalisateur, où un gamin de 6 ans flingua une de ses camarades à la maternelle. Ces drames locaux sont savamment mis en balance avec la sanglante politique internationale américaine : le massacre de Columbine n'a-t-il pas coïncidé avec le jour où les bombardements américains sur le Kosovo furent les plus intenses et les plus meurtriers ? De même est-il bon de s'entendre rappeler que la CIA a jadis financé à hauteur de 3 milliards de dollars la lutte de Ben Laden contre les soviétiques, de sorte qu'en déplorant depuis la fracture du 11 septembre la puissance financière de la nébuleuse islamiste intégriste, le gouvernement américain fait preuve d'une déconcertante faculté d'oubli. Sans trancher, Michael Moore acquiesce discrètement aux propos tenus par le très controversé Marilyn Manson, d'ordinaire montré du doigt par les ligues de vertu comme un anarchiste dont les grand-messes orgiaques catalysent et déchaînent l'ultra-violence d'une jeunesse en perte de repères. Dans l'entretien qu'il accorde à Michael Moore, Marilyn Manson n'hésite pas à retourner les accusations, dont on l'accable avec un empressement trop visible pour n'être pas suspect, contre Bush himself, dont la politique étrangère agressive et belliqueuse doit assumer sa part de responsabilité.
Si le film n'occulte aucune des pistes susceptibles d'éclairer la violence meurtrière si vivace en Amérique, du moins met-il singulièrement en évidence la responsabilité des médias prompts à alimenter le climat de psychose insécuritaire du pays à coup d'émissions racoleuses où le morbide le dispute à la chasse au sensationnel. Un chiffre dans le film, qui s'attache à en donner beaucoup : alors que la criminalité n'a eu de cesse de baisser aux Etats-Unis, la couverture médiatique des crimes violents a augmenté de 600% ! Les médias amplifient, sinon fabriquent, la peur liée à une insécurité sans cesse mise en spectacle dans de populaires émissions de télé-réalité ; parmi elles, Cops accompagne une brigade de police lors d'interventions musclées au terme de courses-poursuites filmées caméra sur l'épaule et qui se soldent invariablement par l'arrestation brutale du jeune délinquant à la peau noire : Cops a en effet trouvé son bouc émissaire, tout comme le sénile Charlton Heston, à la tête de la NRA (National Rifle Association). Cette ligue de défense des armes à feu est la première à exploiter les réactions de peur liées à l'insécurité en organisant des meetings populistes et cocardiers dès qu'une tragédie meurtrière se produit dans une ville, moins d'une semaine après le drame. Dans l'entretien que Charlton Heston accorde à Michael Moore depuis sa forteresse de Beverly Hills, transpirent les thèses racistes et ethniques les plus extrémistes. En réponse à la question obstinée du journaliste : "mais comment expliquer cette violence caractérisée de la nation américaine ?", Charlton Heston susurre un discours venimeux : "c'est-à-dire que les Etats-Unis comptent une population beaucoup plus métissée qu'en Europe ou au Canada". Il ne fait décidément pas bon être Noir aux Etats-Unis.
Le citoyen français au sortir de la projection ne peut manquer de faire son examen de conscience. Filmer la peur exacerbée des USA, la précipitation avec laquelle les américains s'arment, blindent leurs portes, sécurisent les suburbs et enfin diabolisent le Noir, c'est tendre un miroir à cette France d'en bas (mais pas seulement) qui a montré le 21 avril dernier (1) tout le crédit qu'elle accordait aux propos d'un Le Pen. Par les temps de sarkozisme qui courent, voir ce documentaire, Bowling for Columbine, qui ne donne - hélas ou heureusement - ni leçon ni réponse, mais beaucoup à penser, est vraiment salutaire.
1 - J'ai écrit ce texte, juste après avoir vu le documentaire, en septembre 2002, si mes souvenirs sont exacts.
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